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La résistance à l'oppression, droit fondamental ou principe de philosopie politique ?

Auteurs : Francois JACQUOT, Avocat au Barreau de Paris
Publié le : 12/02/2022 12 février févr. 02 2022

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) est à la fois un document juridique fondamental inclus dans le « bloc constitutionnel » de la cinquième République et un chef d’œuvre rédactionnel sur le plan de la philosophie, de la politique et du droit.
 
Le ton est donné dès le Préambule dont la solennité, la clarté et la force sont tout simplement magistrales :
 
« Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous ».
 
En quelques lignes, les auteurs ont posé les bases philosophiques, politiques et juridiques d’un nouvel Ordre constitutionnel.
 
Le pouvoir suprême sera désormais détenu par le « Peuple Français » dont les «Représentants» se sont «Constitués en Assemblée Nationale». Le principe de souveraineté populaire devient donc en 1789 la base de l’institution d’une monarchie parlementaire et sera, plus tard, celui d’une République.
 
La DDHC affirme ensuite « que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements ». En proclamant que la violation des droits de l’Homme est la raison première de tous les malheurs de la Nation, les auteurs, qui n’étaient ni naïfs ni ignorants, ont retenu une formule péremptoire propre à frapper les esprits et qui en dit long sur leurs convictions humanistes.
 
La place conférée aux droits de l’Homme dans un texte qui sera ensuite placé en préambule de la Constitution de 1791 a ainsi marqué le basculement vers une société politique fondée sur la proéminence du Droit, qui place les droits de l’Homme au sommet de l’édifice juridique.

LES ORIGINES

 Gardons à l’esprit que, bien avant notre ère, les grecs avaient largement disserté sur les caractéristiques de régimes politiques dans lesquels les monarques disposaient d’un pouvoir absolu obtenu de manière illégitime, et dont ils usaient de manière arbitraire.
 
Si les grecs ont toujours rejeté la tyrannie en tant que mode d’organisation du pouvoir dans la polis (cité-Etat), lui préférant la démocratie, ou l’oligarchie, les tyrans ont néanmoins été nombreux : Polycrate, tyran de Samos (540-522, avant J.C) ; Piristrate et sa descendance à Athènes (561-510 avant J.C), Denys de Syracuse (430-367 avant J.C), et bien d’autres.
 
Parmi les caractéristiques communes à leurs actions, il y avait le fait de suspendre la Constitution (politeia), ainsi qu’une habileté à s’appuyer sur le peuple (demos) par la propagande et la démagogie.  
 
En 1789, la lutte contre la tyrannie n’était donc pas nouvelle, pas plus que le concept de droits de l’Homme qui dérivait d’une expression beaucoup plus ancienne, celle du « droit naturel » dont dérivent les « droits naturels » puisque ces sujets étaient discutés depuis l’Antiquité.
 
Le philosophe Aristote (384-322 avant J.C) considéré comme le père de la théorie du droit naturel, a ainsi postulé l’existence d’un droit universel et intemporel s’imposant à tous les législateurs. Dans son ouvrage Éthique à Nicomaque, il écrivait que « la justice politique elle-même est de deux espèces, l'une naturelle et l'autre légale. Est naturelle celle qui a partout la même force et ne dépend pas de telle ou telle opinion ; légale, celle qui à l'origine peut être indifféremment ceci ou cela, mais qui une fois établie, s'impose ». A son époque, les termes « la justice » signifiaient « le droit », ce qui éclaire les propos d’Aristote lorsqu’il écrivait que « la justice légale est autre que la justice première », la justice légale étant synonyme de droit positif, tandis que la justice première correspond au droit naturel.1
 
L’un des exemples les plus frappants donné par la littérature grecque classique est celui d’Antigone, l’héroïne de Sophocle, qui décida de braver l’interdiction du roi Créon en enterrant son frère selon les rites sacrés, alors que le monarque avait ordonné que la dépouille du défunt soit exposée aux charognards. L’héroïne répondit au Roi qui l’interrogeait sur le sens de son acte :  
 
"Je ne pensais pas que tes proclamations fussent assez fortes pour permettre à un homme de transgresser les lois non écrites et immuables des Dieux. Elles ne datent ni d’aujourd’hui ni d’hier. Elles sont toujours en vigueur ».2
 
Platon a lui aussi dénoncé la tyrannie et ses liens avec le mouvement de pensée philosophique des Sophistes. Ces derniers soutenaient que le bonheur réside dans l’assouvissement immodéré des désirs, idéologie qui était propre à justifier que les tyrans puissent jouir d’un pouvoir absolu.
 
Il est intéressant de remarquer que pour Platon s’interrogeait sur l’origine de la tyrannie : «ce qui fait la ruine de l’Etat démocratique, n’est-il pas aussi le désir insatiable de ce qui regarde son bien suprême…La Liberté »3 du citoyen ? C’est ce désir illimité de liberté sans barrières, qui conduit, selon lui, à la chute de la Démocratie et à sa transformation en tyrannie. On ne peut s’empêcher de penser à l’exacerbation de la société consumériste du 21ème siècle dans laquelle le citoyen est devenu totalement dépendant de biens et services toujours plus nombreux et plus éphémères, ainsi que d’un confort de vie pour lequel, au final, il pourrait être tenté de renoncer à sa liberté afin d’assurer sa « tranquillité ». Et c’est ainsi que Platon concevait comment la Démocratie pouvait sombrer dans la tyrannie, passant de la liberté à la servitude.  
 
Cicéron, quant à lui, a théorisé le tyrannicide dans le traité De officiis où il indiquait que « le tyran s’est mis à l’écart de la communauté humaine », ce qui l’incita ensuite à célébrer l’assassinat de César et à militer pour qu’Antoine soit écarté du pouvoir par les mêmes moyens.  
 
Bien plus tard, sous l’influence du Christianisme, des auteurs tels que Saint Thomas d’Aquin ont considéré que les droits naturels étaient immuables4, c’est-à-dire qu’ils appartiennent à tous sans exception, contrairement à la Grèce et à Rome où il existait des catégories inférieures de « citoyens » (esclaves notamment).
 
Le concept de la résistance à l’oppression tire donc son origine de l’idée de préservation des droits naturels, inaliénables et sacrés.
 
Ces droits naturels ont ensuite été désignés sous l’expression de « droits de l’Homme » ; ils ont fait l’objet d’intenses réflexions philosophiques et politiques à des époques plus proches de la Révolution française, en particulier à partir du 16ème siècle.  
 
L’un des auteurs les plus influents en la matière fut l’anglais John Locke dont la pensée a marqué un tournant contre l’absolutisme monarchique. Ses écrits ont inspiré la Déclaration d’indépendance américaine de 1776, puis la DDHC.
 
Locke a vécu la Glorieuse Révolution anglaise (1688-1689), qui, un siècle avant la révolution française, avait initié un mouvement de restriction du pouvoir monarchique par l’intermédiaire de l’Habeas Corpus de 1679 (Loi pour mieux garantir la liberté du sujet et éviter les déportations outre-mer), puis du Bill of Rights (Loi pour la déclaration des droits et libertés des sujets et pour le règlement de la succession à la Couronne) du 16 décembre 1689.
 
Mais, contrairement à ce qu’on a pu penser, Locke ne fut pas le théoricien de cette révolution anglaise. En revanche, il était l’un des opposants au Roi Charles II, ce qui lui valut un premier exil en France pendant quatre ans. Il participa lui-même à la création du parti d’opposition (Wighs) qui l’emportèrent à trois reprises à l’élection législative pour se voir refuser l’exercice du pouvoir par Charles II après dissolution du Parlement.  
 
Ces actes tyranniques incitèrent Locke à sortir du cadre institutionnel qui était manifestement biaisé, pour entrer en résistance contre le système monarchique absolutiste ; c’est ainsi qu’il participa à un complot contre le Monarque, ce qui lui valut un second exil, cette fois en Hollande. Il ne revint en Angleterre qu’en 1689, après l’arrivée de Guillaume d’Orange. C’est peu de temps après cela qu’il publia ses Lettres sur la Tolérance, puis son fameux ouvrage intitulé : Deux traités sur le gouvernement civil (1690).
 
J. Locke était donc beaucoup plus qu’un auteur car il avait lui-même vécu et mis en pratique la résistance à l’oppression absolutiste. A travers son Traité du Gouvernement civil5, l’auteur anglais a donc théorisé sa propre expérience.
 
Remettant en question le fondement divin du pouvoir monarchique, il écrivait qu’« il faut nécessairement découvrir une autre genèse du gouvernement, une autre origine du pouvoir politique ».
 
Cette origine, selon lui, c’est la Nature qui a doté tous les hommes de raison. Et « pourvu qu'ils se tiennent dans les bornes de la loi de la Nature », écrivait-il, « les hommes étant nés tous également », ils se trouvent dans un état de « parfaite liberté » et jouissent librement de leur vie et de leurs possessions.
 
Fondées sur la raison, les lois de la Nature ont « pour but la tranquillité et la conservation du genre humain ». En procurant aux hommes une « mutuelle sureté », elles assurent la survie harmonieuse de l’espèce humaine. Ainsi, l’Homme « n'a pas la liberté́ et le droit de se détruire lui-même, non plus que de faire tort à aucune autre personne, ou de la troubler dans ce dont elle jouit, il doit faire de sa liberté́ le meilleur et le plus noble usage, que sa propre conservation demande de lui. L'état de nature a la loi de la nature, qui doit le régler, et à laquelle chacun est obligé de se soumettre et d'obéir : la raison, qui est cette loi, enseigne à tous les hommes, s'ils veulent bien la consulter, qu'étant tous égaux et indépendants, nul ne doit nuire à un autre, par rapport à sa vie, à sa santé, à sa liberté́, à son bien ... ».
 
Cependant, ne pouvant pourvoir seul à son auto-préservation, l’être humain est porté « à rechercher la société et la compagnie les uns des autres, et c'est ce qui a fait que les hommes se sont unis avec les autres, et ont composé, au commencement et d'abord, des sociétés politiques ».
 
Les sociétés politiques proviennent par conséquent d’un choix volontaire des individus de s’unir « pour la conservation mutuelle de leurs vies, de leurs libertés et de leurs biens ». C’est de cette façon que « La société acquiert le droit de souveraineté » et qu’elle se dote d’une forme de gouvernement édictant des lois, les faisant exécuter, et en réprimant la violation, c’est-à-dire d’un organisme - l’État - qui exerce les trois pouvoirs constitutionnels.
 
Pour Locke, aucun pouvoir qu’il soit législatif, exécutif ou judiciaire, ne peut surpasser les droits naturels car la société politique n’a « d'autre fin que la tranquillité́, la sûreté, le bien du peuple » ; dès lors, le pouvoir de la société politique ne peut « s'étendre plus loin que le bien public ne le demande » puisque « la loi fondamentale de la nature ayant pour objet la conservation du genre humain ; il n'y a aucun décret humain qui puisse être bon et valable, lorsqu'il est contraire à cette loi ».  
 
Ainsi, les lois de la Nature déterminent à la fois la finalité des trois pouvoirs constitutionnels et les limites du gouvernement de toute société politique et ce, y compris, les bornes du pouvoir législatif qui était considéré par Locke comme le plus important d’entre tous. Pour lui, le Législateur a uniquement le droit « de régler comment les forces d'un Etat peuvent entre employées pour la conservation de la communauté́ et de ses membres ».
 
Cet auteur, l'exemple révolutionnaire anglais, puis les textes des philosophes des Lumières, exercèrent une influence directe sur des personnages tels que Thomas Jefferson, l’un des inspirateurs de la Déclaration des droits de l'État de Virginie du 12 juillet 1776 rédigée par James Madison, qui se fondait aussi sur « les lois de la nature et du Dieu de la nature » et qui a reconnu une série de droits naturels, qu’elle a qualifiés de « vérités » tenues pour « évidentes par elles-mêmes », mais également l’un des rédacteurs de la Déclaration d’indépendance américaine aux termes de laquelle «Tous les hommes naissent naturellement et également libres et indépendants, et possèdent certains droits inhérents dont ils ne peuvent pas lorsqu’ils entrent dans l’état de société, priver ou dépouiller leur postérité ».
 
En outre, on sait que des passerelles existaient aussi entre les auteurs et responsables américains et les français puisque Lafayette échangeait régulièrement avec Thomas Jefferson qui l’assista dans la rédaction de la première version de la Déclaration française proposée par le héros des deux mondes le 11 juillet 1789.
 
Il est donc « naturel » que les auteurs de la DDHC se soient déclarés « résolus d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme », ce vocable étant déjà présent dans la Déclaration d’indépendance américaine qui se référait aux « droits inaliénables » dont tous les hommes sont « dotés par le Créateur ».  
 
Les intentions des auteurs de la déclaration de 1789 étaient de graver dans le marbre un rappel perpétuel des droits et devoirs des « Membres du corps social » pour que les réclamations des citoyens puissent avoir un fondement légitime. Mais ils s’adressaient surtout aux pouvoirs publics, en leur rappelant « des principes simples et incontestables » destinés à servir d’étalon de « chaque instant » aux « actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif ».
 
Après son magnifique préambule, les auteurs de la DDHC ont porté le coup de grâce à la Monarchie française par l’adoption du principe d’égalité :  
 
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune » (art.1er).
 
L’égalité a été placée en tête de la déclaration car elle exprime l’une des conditions sine qua non de l’exercice des autres droits. La démarche a été la même que celles des rédacteurs de la Déclaration d’indépendance qui ont commencé par la formule :
 
« Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ».
 
Puis, l’article 2 de la DDHC a dressé la liste des quatre droits inaliénables et sacrés :
 
« Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ».
 
Le sujet de notre article figure dans cette liste étroite, mais essentielle.
 
une finalité que la Déclaration d’indépendance américaine énonçait également en affirmant que « Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits ».
 
Ces considérations étant posées, il est plus aisé de comprendre la nature et la portée du principe de « résistance à l’oppression », plus largement décrit par les rédacteurs de la Déclaration d’indépendance :
 
« Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l'abolir et d'établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l'organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur ».
 
Cette poursuite du bonheur à travers l’institution d’un juste gouvernement se conformant à l’objectif fondamental de toute association politique qui est la préservation des droits de l’Homme, figure également, mais plus modestement, dans la déclaration de 1789 lorsque cette dernière évoque le « maintien de la Constitution » et le « bonheur de tous ».
 

LA RESISTANCE A L’OPPRESSION, DERNIER RECOURS EN CAS DE FAILLITE DES POUVOIRS CONSTITUTIONNELS

La résistance à l’oppression était une thématique très courante en 17ème siècle. Elle était omniprésente lors de la Glorieuse Révolution anglaise, notamment au sein de groupements tels que la Revolution Society qui considéraient « la révolution de 1688 comme une occasion manquée ». Ainsi, selon ce groupe de pensée, « la corruption est d’autant plus insidieuse qu’elle a toutes les apparences de la liberté et vide la constitution de son contenu tout en préservant les apparences de la liberté – d’où l’appel à une vigilance constante contre les abus de pouvoir et l’insistance sur le droit de résistance et la souveraineté populaire ».
 
Les débats sur ce sujet ont continué à secouer la société anglaise pendant tout le 18ème siècle et la résistance à l’oppression était très discutée à l’avant-veille de la Révolution française. En témoigne le discours d’un certain Lord Stanhope prononcé le 4 novembre 1788, lors de la commémoration du débarquement de Guillaume d’Orange à Torbay (le 5 novembre 1688) qui a marqué le début de la Glorieuse révolution. Ce discours définissait «les trois principes de la société : souveraineté populaire, droit de résistance à l’abus de pouvoir, et défense de libertés fondamentales comme le droit au procès par jury, les libertés de la presse, de conscience, et des élections ».6  
 
S’appuyant sur la même logique, la Déclaration des droits de Virginie considérait que « les pouvoirs législatifs et exécutifs de l’État doivent être séparés et distincts de l’autorité judiciaire » afin que tout « désir d’oppression puisse être réprimé dans les membres des deux premiers » tandis que les auteurs de La Déclaration d’indépendance ont justifié leur rupture avec l’Angleterre en égrenant une longue série « d’oppressions » commises par la Courrone à l’encontre du peuple américain.  
 
L’expression résistance à l’oppression utilisée dans toutes ces déclarations ne doit donc rien au hasard et n’a pas du tout la portée minimaliste qu’on lui a conférée par la suite.
 
A) La résistance à l’oppression est-elle un véritable droit plutôt qu’un concept philosophico-politique ?
 
Il est certain que la résistance à l’oppression constitue un véritable droit.
 
Nous connaissons les débats qui ont agité les députés de la Constituante où deux thèses principales s’affrontaient, toutes deux en faveur d’un droit subjectif à la résistance, mais dont les contours étaient différents.7
 
La première, portée par les Girondins et particulièrement par Condorcet, définissait l’oppression comme une violation des droits garantis et considérait que les modalités de résistance devaient être exercées dans un cadre institutionnel.  
 
A l’opposé, les Montagnards emmenés par Robespierre se focalisaient sur le caractère naturel de ce droit et considéraient qu’« assujettir à des formes légales le droit de résistance à l’oppression est le dernier raffinement de la tyrannie »8. C’est donc le citoyen qui, selon eux, doit lui-même déterminer le moment et les modalités de l’exercice de ce droit à la résistance, ce qui lui confère un caractère insurrectionnel.
 
La France révolutionnaire n’avait prévu aucun contrôle de conformité de la loi aux droits de l’Homme, alors même que leur préservation était, selon la DDHC, supposée être le but de toute institution politique.
 
L’usage brutal et sanglant qui en a été fait par les Montagnard durant la Terreur est sans doute l’une des raisons de la relégation de la résistance à l’oppression au rang de principe philosophique durant les deux siècles qui ont suivi. Et c’est ainsi que ces droits inaliénables et sacrés sont pratiquement demeurés lettre morte pendant pratiquement deux siècles. Il est vrai, comme le soulignent certains auteurs, que les révolutionnaires ne se sont pas trop étendus sur la résistance à l’oppression.
 
On comprendra aisément qu’un gouvernement constitué légalement n’admette que d’une manière très exceptionnelle un droit qui pourrait mener à sa destitution. A ce sujet les auteurs de la Déclaration d’indépendance écrivaient déjà que :
 
« La prudence enseigne, à la vérité, que les gouvernements établis depuis longtemps ne doivent pas être changés pour des causes légères et passagères, et l'expérience de tous les temps a montré, en effet, que les hommes sont plus disposés à tolérer des maux supportables qu'à se faire justice à eux-mêmes en abolissant les formes auxquelles ils sont accoutumés ».
 
Cependant, on a redécouvert la DDHC à l’occasion d’une décision historique du Conseil Constitutionnel qui l’a intégrée au bloc de constitutionnalité.9
 
Il a ensuite reconnu la valeur constitutionnelle du droit à la résistance à l’oppression dans le considérant n°16 de sa Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 :  
 
« 16. Considérant que, si postérieurement à 1789 et jusqu'à nos jours, les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ d'application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations exigées par l'intérêt général, les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l'un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression, qu'en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique ».
 
On sait aussi que l’audace n’a pas manqué chez les parlementaires pour saisir la juridiction constitutionnelle de moyens relatifs au droit de résistance à l’oppression. En 2012, non sans un certain panache, 60 sénateurs ont ainsi formé un recours contre la Loi relative à la protection de l'identité portant « création du fichier telle qu'inscrite à l'article (5) de la loi » et qui, selon eux, portait « non seulement une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée, mais port(ait) également en germe la destruction pour l'avenir des possibilités d'exercice effectif du droit fondamental de résistance à l'oppression, corollaire indispensable de la liberté individuelle elle-même ».
 
Pour dénoncer un fichage des citoyens aussi massif que celui qui était alors envisagé – et qui n’est rien en comparaison de celui qui existe aujourd’hui -, les Sénateurs avaient convoqué les mots du poète allemand Martin Niemoller :
 
« Quand ils sont venus chercher les communistes,
Je n'ai rien dit,
Je n'étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
Je n'ai rien dit,
Je n'étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs,
Je n'ai pas protesté,
Je n'étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
Je n'ai pas protesté,
Je n'étais pas catholique.
Puis ils sont venus me chercher,
Et il ne restait personne pour protester ».

 
Ce recours rappelait à quel point la préservation des droits inaliénables et sacrés est une question de vigilance de tous les instants face à un pouvoir exécutif toujours prompt à les piétiner.
 
Dans cette circonstance, le Conseil Constitutionnel avait fait preuve d’une certaine audace en censurant avec fermeté un « traitement de données à caractère personnel destiné à recueillir les données relatives à la quasi-totalité de la population de nationalité française », donnée qualifiées de « particulièrement sensibles ». En effet, « eu égard à la nature des données enregistrées de ce traitement, à ses caractéristiques techniques et aux conditions de sa consultation, les dispositions de l’article 5 portent au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ».
 
Le droit à la résistance à l’oppression existe donc bel et bien.
 
Sa mise en œuvre suppose que les conditions énumérées par l’article 16 de la DDHC aient cessé d’exister.
 
B ) L’article 16 de la DDHC raison d’être de la résistance à l’oppression
 
L’article 16 de la DDHC prévoit que :
 
« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
 
Il a été considéré comme étant « à lui seul, un condensé du droit constitutionnel et un des fondements de la démocratie. Il est devenu, au fil des années et grâce notamment à la question prioritaire de constitutionnalité, la garantie que les autres droits et libertés proclamés par la Constitution seront respectés ».10  
 
La juridiction constitutionnelle en a fait maintes applications en ce qui concerne en particulier le droit au procès équitable : droit au recours juridictionnel, principe d’indépendance, droits de la défense, principe du contradictoire, équilibre des droits des parties, ou encore, la rétroactivité des lois, l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi, ou la sécurité juridique, etc.  
 
La séparation des pouvoirs est également très présente dans les décisions du Conseil Constitutionnel,11 mais le juste équilibre entre ces pouvoirs qui est supposé résulter de leur contrôle mutuel et réciproque, a été fortement amoindri par plusieurs facteurs.  
 
1- Un Président de la République, arbitre au-dessus des partis, qui est désormais une vue de l’esprit
 
Lorsque Charles De Gaulles a conçu la Vème République, son but était de mettre fin « à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le Gouvernement ne serait bientôt plus rien qu’un assemblage de délégations ». Il considérait à juste titre que les institutions « n’avaient pas répondu aux nécessités nationales, et qu’elles avaient, d’elles-mêmes, abdiqué dans la tourmente ». Il estimait par conséquent que « la rivalité des partis revêt chez nous un caractère fondamental, qui met toujours tout en question et sous lequel s’estompent trop souvent les intérêts supérieurs du pays ».
 
Dans le discours de Bayeux dont sont extraites ces citations, De Gaulle a disserté sur la dictature d’une manière particulièrement lumineuse et prophétique. Il croyait que « le trouble dans l’Etat a pour conséquence inéluctable la désaffection des citoyens à l’égard des institutions », ce qui nous renvoie directement à la société contemporaine où l’abstention au vote est fantastiquement élevée, et la méfiance contre le monde politique est congénitale.
 
Le Général pensait que l’indépendance de la France était « une question de vie ou de mort » et plaidait pour que les pouvoirs « législatif, exécutif, judiciaires soient nettement séparés et fortement équilibrés, et qu’au-dessus des contingences politiques, soit établi un arbitre national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons ».  
 
L’Assemblée Nationale (Chambre des députés) était appelée à représenter « les grands courants de politique générale » tandis que le Sénat (autrement dénommé dans le discours) portait la voie de « la vie locale ».
 
Cette séparation équilibrée des pouvoirs préconisée par le premier Président de la Vème République ne devait son effectivité qu’au fait que le Chef de l’Etat, source d’émanation « du pouvoir exécutif », était « placé au-dessus des partis », en sa qualité « d’arbitre national » se situant « au-dessus des contingences politiques », et de « garant de l’indépendance nationale ». En cas de nécessité générale, il pouvait ordonner la dissolution de l’Assemblée Nationale, « en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine », ou recourir au référendum, ce que le Général fit à plusieurs reprises, notamment après l’attentat du Petit Clamart, ou encore après les émeutes de mai 1968.
 
Le fondateur de la Vème République fixait à la « nation libre groupée sous l’égide d’un Etat fort », des objectifs très élevés, dont on mesure aujourd’hui à quel point il était libéral : « conserver la liberté sauvée avec tant de peine », mener à bien « une rénovation profonde qui conduise chaque homme et chaque femme de chez nous à plus d’aisance, de sécurité, de joie, et qui nous fasse plus nombreux, plus puissants, plus fraternels », et même « aider notre pauvre et veille mère, la Terre ».  
 
Il considérait aussi comme primordial le fait d’« observer des règles de vie nationale qui tendent à nous rassembler quand, sans relâche nous sommes portés à nous diviser contre nous-mêmes ».12
 
En d’autres termes, il y a d’un côté la Politique au sens noble du terme supposée être incarnée par le Président de la République, et de l’autre, il y a les principes supérieurs des droits de l’Homme dont il devrait également être le garant puisque le « Président veille au respect de la Constitution ».
 
Criantes d’actualités, ces paroles, si elles ont pu recouvrir une réalité très concrète sous la Présidence flamboyante du Général de Gaulle, ne correspondent plus à la réalité politique, économique ou juridique du 21ème siècle.  
 
La première raisons tient au fait que la séparation des pouvoirs n’est plus assurée par un arbitre au-dessus des partis, mais, qu’au contraire, les luttes partisanes et les calculs politiciens l’emportent désormais sur l’intérêt national, alors que la société moderne s’enfonce dans une ère hyper-technologique et un monde ou la puissance économique et financière de certaines entreprises dépasse celle de la plupart des états, menaçant leur indépendance et leur souveraineté.
 
Lorsque le Président de la République, premier représentant du peuple en tant qu’unique élu de l’ensemble de la Nation, ne se hisse pas à la hauteur de ses immenses responsabilités, alors le pouvoir démesuré dont il dispose lorsqu’il est doté d’une majorité parlementaire, peut représenter une menace pour l’Etat de droit.
 
2- La super concentration des pouvoirs entre les mains de l’Exécutif
 
Si le Président dérape, c’est tout l’édifice constitutionnel bâti par le Général de Gaulle qui vacille. En effet, la réalité politique de la Vème République est que l’exécutif concentre les pouvoirs exécutifs et législatifs, d’où la nécessité d’un véritable Président arbitre.
 
La Vème République a hérité de la tradition libérale et légaliste révolutionnaire qui se manifeste dans la DDHC.
 
D’un côté, il y a le fait que « l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits », que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Dans la logique révolutionnaire, la liberté est la règle et la restriction doit être exceptionnelle. Chateaubriand disait d’ailleurs, en s’en inspirant, que « sans la liberté, il n’y a rien dans le monde ». Il en découle que des impératifs d’ordre public ou d’intérêt général doivent engendrer des restrictions aux droits strictement nécessaires, tant dans leur ampleur que dans leur durée.
 
De l’autre côté, la DDHC indique que les « bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ». La loi a été sacralisée par les révolutionnaires parce qu’elle est « expression de la volonté générale » (art.6). C’est pourquoi l’article 4 de la DDHC a fait du législateur l’arbitre de l’équilibre entre les droits et les devoirs, et entre les libertés et l’ordre public ou l’intérêt général.
 
Dans cette optique, l’expression de la volonté générale devrait idéalement se confondre avec l’intérêt public. Mais, ceci est très largement une fiction car, au gré des passions politiciennes et de la conjoncture, la politique gouvernementale peut dangereusement restreindre les droits, en transformant les exceptions en règles, et la liberté en exception. Lorsque le pouvoir met ainsi les devoirs au-dessus des droits fondamentaux, la société devient sécuritaire et liberticide et cela ouvre la porte à l’Etat policier.
 
Or, avec l’adoption de la Constitution du 4 octobre 1958 et son interprétation par le Conseil constitutionnel, le pouvoir législatif a été très largement transféré entre les mains de l’Exécutif, dirigé par le chef de l’Etat, qui, du coup, cumule deux pouvoirs supposés se contrôler mutuellement.
 
Cette confusion des pouvoirs est favorisée par le mode de scrutin destiné à faire émerger une majorité présidentielle absolue qui rend largement théorique le contrôle que l’Assemblée Nationale peut exercer sur l’activité de l’Exécutif en tant que contre-pouvoir puisqu’elle ne représente pas véritablement les tendances politiques majoritaires de la Nation.
 
Au mode de scrutin majoritaire s’ajoute le contrôle du processus législatif par le pouvoir Exécutif. En effet, le gouvernement contrôle très largement la procédure parlementaire : il choisit l’Assemblée devant laquelle sera déposé son projet de loi ; il maîtrise une partie de l’ordre du jour de ladite assemblée ; il choisit les amendements déposés en son nom ; il peut accélérer la procédure législative, ou recourir au vote bloqué ; il est en mesure de faire revoter un article de loi rejeté, et de faire siéger une assemblée plus de 120 jours au cours d’une même session ; il est en droit de demander à sa majorité parlementaire de légiférer par ordonnances ; il peut être encore plus intrusif pour les libertés et droits fondamentaux, en faisant voter l’état de siège ou l’état d’urgence.
 
Au surplus, dans l’actuelle Constitution, le domaine de compétence de la loi est exceptionnel (art. 34) tandis que celui du pouvoir règlementaire représente la règle (art. 37). Ce dernier pouvoir est exercé à la fois par le Chef de l’Etat, pour les décrets délibérés en Conseil des ministres (art.13), par le Premier Ministre (art.21), et par les Ministres sur délégation du Premier ministre, ce qui revient à dire que la majorité des normes juridiques françaises émanent de l’Exécutif.
 
Par conséquent, le pouvoir que l’Exécutif détient est fantastiquement concentré, ce qui réduit l’équilibre de la séparation des pouvoirs à une affaire plutôt théorique, et plus encore lorsque le chef de l’Etat ne joue pas son rôle d’arbitre de manière impartiale. Or, pour ainsi dire, à part le Général de Gaulle, qui tirait sa légitimité de ses accomplissements historiques, aucun autre Président n’a jamais été pleinement à la hauteur de cette mission d’arbitre voué au bien public.
 
Même le Général le pressentait, « en pensant à ce qui arrivera lorsque De Gaulle aura disparu », il déclara lors d’une fameuse conférence de presse, que « ce qui est à redouter, à mon sens, après l’évènement dont je vous parle, ce n’est pas le vide politique, c’est plutôt le trop plein ».13
 
3- L’autorité judiciaire, ultime garant de la séparation des pouvoirs
 
Du côté de l’autorité judiciaire, le régulateur naturel de l’activité gouvernementale et administrative est le Conseil d’Etat, lui-même composé de magistrats issus du même terreau que celui dont proviennent les hauts fonctionnaires, les membres des cabinets et ceux du Gouvernement (L’ENA entre autres). Cette juridiction élitiste est dotée d’une culture qui porte peu à l’autocritique. Sa proximité avec le Gouvernement est inscrite dans les traditions. Selon le journal le Monde, un Conseiller d’état sur deux, et un maître des requêtes sur trois est nommé par le Président de la République de manière discrétionnaire. De même, il est d’usage que le secrétaire général du Gouvernement soit issu du Conseil d’Etat. Ce dernier pilote la politique gouvernementale et organise le Conseil des ministres.
 
Or, le Parlement n’exerçant pratiquement plus aucun contrôle sur le Gouvernement, le Conseil d’Etat se retrouve en première ligne face à la contestation juridique des actes de l’Exécutif, ce qui l’expose à davantage de critiques et de soupçons sur ses liens avec le pouvoir.
 
Ainsi, bien qu’un décret du 6 mars 2008 assure une séparation entre la Section consultative et la Section contentieuse, cette consanguinité est mal perçue par le public qui y voit un leurre et une perte de chance de disposer d’un recours effectif à l’encontre d’un décret pris après avis du Conseil d’Etat.
 
De plus, la haute juridiction s’est également rapprochée des parlementaires. Selon les propres aveux de son vice-président, M. Bruno Lasserre, « s’agissant du Parlement, nos liens se sont beaucoup renforcés : nous avons accueilli des membres de toutes les Commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat pour montrer comment nous fonctionnons. Nous les avons encouragés à solliciter notre avis sur leurs propositions de loi et ils nous ont fait confiance… ». Au lieu de renforcer l’Etat de droit, cette collaboration l’amoindrit en réduisant la séparation des pouvoirs. Là encore, elle donne aux citoyens une impression de confusion qui fait naître des suspicions sur l’indépendance de la justice administrative.
 
Enfin, en ce qui concerne le Conseil Constitutionnel, il juge de manière récurrente que « la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ». Il en conclut qu’il « n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause l'appréciation par le législateur».
 
Il est juste que la juridiction constitutionnelle doit se garder de juger les questions sous un angle politique, et on comprend la prudence des juges à cet égard. Mais, d’un autre côté, l’idée que la loi est l’expression de la volonté générale n’est qu’une pure fiction ; elle est avant tout l’expression de la volonté politique de la majorité présidentielle, ainsi que le reflet des choix plus ou moins idéologiques des gouvernants. De temps à autre, cela coïncide avec l’intérêt public.
 
Il est donc parfaitement impossible que la juridiction constitutionnelle ne soit pas critiquée lorsqu’elle censure une loi. Cependant, cet inconvénient n’est rien face à celui de l’abandon ou de l’affaissement de ses responsabilités en tant que garant ultime de la Constitution, notamment lorsque le Président lui-même n’est pas à la hauteur de ses responsabilités à ce sujet.
 
L’Exécutif étant par définition le pouvoir qui est le plus à même de déraper en adoptant une politique liberticide, la fermeté du juge constitutionnel est le dernier rempart institutionnel face au totalitarisme.
 
L’essence même de la séparation des pouvoirs ne réside pas dans la division des pouvoirs constitutionnels mais dans l’objectif de cette division, c’est-à-dire l’exercice d’un contrôle mutuel afin que l’intérêt supérieur du pays soit assuré dans le respect des droits fondamentaux.
 
Pour fonctionner, la séparation des pouvoirs est donc soumise à une condition sine qua non : chaque composante du pouvoir doit jouer son rôle de « chien de garde », en veillant au respect de l’objectif de toute société qui est le bien public et la protection des droits inaliénables et sacrés.
 
Aussi, si le premier contre-pouvoir doit émaner du Législatif, à travers les deux assemblées, il faut aussi que l’autorité judiciaire exerce ce rôle, et tout particulièrement, de la Cour de cassation, ultime gardien de la liberté individuelle, du Conseil d’Etat, régulateur de l’activité publique, et du Conseil Constitutionnel, garant ultime de la conformité de la loi aux droits inaliénables et sacrés.
 
C’est pourquoi, les marques de « déférence » de la juridiction constitutionnelle vis-à-vis du Législateur apparaissent d’autant plus déplacées que l’on sait, en définitive, que cela revient à avaliser la politique du Gouvernement qui dirige la majorité présidentielle, et donc, qui exerce, à travers elle, le pouvoir législatif.
 
Par la force des choses, les juges constitutionnels sont donc confrontés à un paradoxe qu’ils se doivent de surmonter. Quelle que soit la majorité politique, ils ont le devoir d’empêcher le Politique de piétiner les droits fondamentaux sans néanmoins s’immiscer dans le pouvoir général d'appréciation et de décision du Parlement, qui n’est en réalité, que celui du Gouvernement. Cela les place devant l’impossible neutralité du droit constitutionnel puisque toute censure d’une loi peut passer pour une décision politique, surtout si la législation est hautement idéologique (lois sur la sécurité, lois sur l’immigration, etc.), tandis qu’un refus de censurer une loi potentiellement liberticide apparaîtra comme un renoncement des juges face au pouvoir.  
 
Pour cette raison, la seule « politique » que doit assurer le Conseil Constitutionnel est celle de garantir la permanence de l’Etat de droit face à un pouvoir politique qui aura des conceptions plus ou moins respectueuses de la Constitution. 
 
Malheureusement, ce n’est pas la direction prise par les juges de la rue Montpensier. 
 
Le Professeur Valérie Goebel-Le-Bihan14 souligne le fait la séparation que ces juges ont de la séparation des pouvoirs va « dans le sens de la nécessaire spécialisation des fonctions, et donc d’interdire la participation du Parlement à l’exercice de la fonction exécutive ». Ils en ont fait un « principe essentiellement négatif qui consister à exiger du pouvoir - divisé – qu’il arrête le pouvoir », une sorte de super spécialisation.
 
Ce Professeur ajoute que ce défaut est amplifié par ’une « interprétation exigeante -et continue- par le Conseil qui limite les possibilités d’intervention du Parlement dans la mise en œuvre des pouvoirs reconnus à l’exécutif », notamment en matière financière»15le Parlement ne pouvant par exemple pas modifier la rémunération du Président de la République ou celle des membres du Gouvernement.16
 
Cette spécialisation des fonctions conçue par le Conseil Constitutionnel dénature la vocation même de la séparation des pouvoirs en tant que mécanisme d’équilibre et de contrôle réciproque visant avant tout à protéger les droits inaliénables et sacrés.
 
Par ailleurs, on « assiste à une résurrection du mode général de traitement des restrictions apportées aux droits et principes de valeurs constitutionnels » du fait que « le principe de séparation des pouvoirs... n’est que relatif ; des restrictions peuvent toujours lui être apportées dès lors qu’elles poursuivent un objectif légitime et lui sont proportionnées… ».17
 
Cela va au-delà des restrictions apportées à l’indépendance des juridictions car toutes les libertés sont touchées, puisque le principe de proportionnalité, par nature subjectif, constitue un facteur à géométrie variable qui dépend très largement de la manière dont la juridiction constitutionnelle conçoit son rôle de garant des droits inaliénables et sacrés.
 
C’est lorsque ce dernier rempart institutionnel a sauté, que l’on peut le mieux comprendre ce qu’entendaient les révolutionnaires lorsqu’ils ont écrit que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
 
Au final, l’article 16 de la DDHC décrit le cycle par lequel le Peuple, après avoir délégué sa souveraineté aux institutions politiques, entre en résistance contre l’oppression, reprend le pouvoir pour l’adoption d’une nouvelle Constitution qui rétabli

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